Une table en loupe d'orme

Bonjour à tous
On m’a donné récemment une bille d’orme dont les trois quarts étaient en loupe. La bille faisait environ 2m de long sur 45-50 cm de large et avait été débitée (il y a au moins 40 ans) en 4 plateaux de 60 et deux de 80mm. Le bois n’avait pas été attaqué par les insectes mais les plateaux s’étaient fortement vrillés lors du séchage. Je n’ai pas de photo de la bille mais voilà un plateau sur le chantier de débit.





On voit tout de suite que le veinage du bois est très beau mais que le bois présente de nombreux défauts : écorce incrustée dans le bois, parties abimées, fentes, gerces, nœuds non adhérents. Je vous montrerai comment j'ai réglé ce problème.

J’ai décidé d’en faire une table pour ma cuisine. La dimension retenue pour le plateau est de 1m50 x 90 cm et pour l’épaisseur, le maximum que je pouvais tirer vu le vrillage des plateaux…..
Le débit ne pose pas de problème : j’ai pu tirer 5 pièces de bois des 4 plateaux de 60mm, la plus large faisant 30 cm et la moins large 12cm. Voilà les morceaux de bois après dégauchissage.



Le bois étant vraiment très déformé, je n’ai pas pu faire mieux que 50mm d’épaisseur après rabotage sachant que j’ai voulu garder les pièces les plus larges possibles pour des raisons esthétiques.

Les madriers sont collés à plat joints avec de la Titebond 3.



Le dessus est passé à la ponceuse à bande (grain 80).


Le plateau après collage et ponçage, avant mise à la longueur (scie à format).

Toutes ces opérations sont très classiques et ne présentent aucune difficulté: les problèmes viennent ensuite….

Un gros plan sur une partie du plateau montre le problème et les défauts du bois.



Il va falloir boucher tout cela…..Pas question bien sûr d’utiliser une pâte à bois, le rendu serait immonde. Alors, il faut boucher avec des pièces de bois (flipots). Le petit jeu consiste à ouvrir les parties abimées avec des gouges en essayant au maximum de suivre les veines de bois.




Ensuite, on place une feuille de papier sur le trou et on frotte avec un crayon gras pour relever les contours du trou.


On repasse les contours avec un stylo à pointe tubulaire (type Rotring) très fin (j’ai utilisé un 0.2mm) :


On colle le modèle sur une planchette de 8mm tirée de chutes du plateau en essayant de trouver un veinage et une couleur proches (en fait sur ce type de loupe, même si le veinage est assez différent, cela passe presque inaperçu).



On découpe les morceaux (j’ai utilisé une scie Hegner)


Et on colle à l’araldite. J’ai utilisé l’araldite car le fond du trou est toujours relativement irrégulier et il faut une colle capable de faire un joint épais, les colles époxy sont idéales pour cela.



Pour certains défauts particulièrement profonds, j’ai d’abord rebouché avec une pâte à bois jusqu’à environ 5mm du haut avant de coller le flipot  (il y a un exemple un peu plus loin).

Après séchage, les flipots sont arasés à la scie à cheville en intercalant une feuille de papier fort pour ne pas attaquer la surface.

Le nettoyage est terminé avec un fermoir de sculpture, une râpe « fer à repasser » plate et un racloir.
Nb au premier plan à gauche, on voit un trou dont  le fond a été comblé avec de la pâte à bois et entre le fermoir et la râpe on voit un flipot arasé.

Quelques exemples de trous rebouchés:



En tout, j’ai fait 62 rebouchages avec ces morceaux de bois sur le plateau (et 14 de plus sur la barre centrale du piètement qu’on verra ensuite). J’ai fait cela par séries de 12-15 rebouchages. Un échantillon de planchettes découpées....


Les petits défauts sont rebouchés avec des bâtons de gomme laque colorée.

Les outils pour le rebouchage à la gomme laque.

Les bords sont arrondis (défonceuse, fraise R10 à roulement) et le plateau est poncé à la ponceuse orbitale (abrasif 80-120-180 et 240 avec un lavage à l’eau chaude entre chaque grain).

Il y avait des différences de couleurs assez importantes selon les différentes parties du bois et par ailleurs, le bois utilisé pour le piétement était plus clair. D’autre part, j’ai eu des expériences avec de l’orme où le bois brut exposé au soleil (appuis intérieurs de fenêtres) se décolorait très vite malgré une finition vernie. J’ai donc choisi de teinter le bois. Pour cela j’ai utilisé une solution très diluée de brou de noix que j’ai « réchauffée » avec 10% d’acajoutine. Arès mise en teinte, le plateau a reçu deux couches de fond dur (passé à la mèche de coton) puis trois couches de vernis SP satin catalysé (Les Frères Nordin).


Aspect du plateau terminé.
Bien sûr, si vous avez des questions, n'hésitez pas.
Suite plus tard pour le piétement.....

Magnifique...!!! Le bois et la technique....

Patrick nous avait habitué à une grande maîtrise, mais alors là, je suis baba ! Ce plateau est superbe, et il doit peser son poids !

Salut, ce plateau est superbe, vivement la suite

Merci pour vos appréciations. Pour le poids, en théorie, si on considère que le poids spécifique de l'orme est d'environ 700kg/m3, il devrait peser 47 kg (1.5x0.9x0.05x700). Disons entre 40 et 50kg.

Juste magnifique.
Et merci pour les indications que tu donnes, c'est intéressant et impressionnant.

Astucieux, le comblement, mais bonjour le casse-tête pour réassembler le puzzle (à moins d'une annotation de repérage ?)

Je retiens aussi la feuille intercalaire pour araser.

Magnifique rendu, au final.

Oui bien sûr, chaque pièce et son emplacement sont numérotés.

Salut

Chapeau bas, Patrick. C'est tout simplement magnifique. Je dis magnifique, mais ce mot est largement en dessous de ce que je voudrais dire, mais les mots ne me viennent pas. Trop trop trop beau...

Je n’ai rien à ajouter ! C’est superbe !
Et merci pour l’astuce concernant le rebouchage !

Suite: réalisation du piétement

Pour le piétement, je n’ai pas voulu utiliser le reste de la bille pour plusieurs raisons: 1-esthétiquement je n’étais pas convaincu, loin de là, 2- j’avais des doutes sur la solidité des assemblages dans la loupe (au moins dans certaines parties). Avec la bille, il y avait un gros bastaing d’orme de 90 x 300, probablement destiné à de la charpente, bien fendu au milieu mais dont le reste avait l’air pas mal et il me restait quelques plateaux d'orme de 34mm d’une bille que j’avais achetée à un menuisier qui prenait sa retraite.

J’avais décidé de faire des pieds tournés (ce n'est plus vraiment à la mode aujourd'hui mais 1- pour moi c'est plus agréable et plus facile à faire que de souder des tubes carrés, 2- je me disais que le contraste dans la cuisine pouvait être intéressant), une ceinture haute de 11 cm sur les 4 cotés, deux traverses latérales basses et une poutre centrale qui traverse les traverses latérales et fixée par des clefs. (mon explication n'est pas limpide, regardez la dernière photo si c'est trop abscons).

J’ai pu prendre les 4 pieds dans le bastaing. La première étape du tournage, c’est de couper les masses qui recevront les traverses hautes et basses. En fait, c’est la seule étape un peu délicate du tournage (enfin pour moi qui ne suis pas vraiment un spécialiste du tournage). Outils utilisés : bédane de 10mm et gouge de 10mm pour les arrondis (les spécialistes font les arrondis avec l’angle du bédane, moi j’accroche trop souvent….).



Ensuite je reporte à partir d’une planchette les différentes parties du tournage sur les parties cylindriques.



Le tournage des parties cylindriques ne pose pas de problème (gouges, planes et bédanes). La pièce terminée avant ponçage (sur ce type de pièce, on ne devrait pas avoir besoin de poncer plus gros que du 150).



Après ponçage (NB il est indispensable d’utiliser des cales pour ne pas arrondir les moulures).



Pour la ceinture haute, les plateaux d’orme me permettaient juste de tirer des morceaux de 28mm rabotés, j’ai trouvé que c’était trop juste, je les ai refendus et j’ai fait du triplis (3 planchettes de 12mm).



Pour les traverses basses, j’ai pu tirer deux planches de 30mm d’épaisseur et de 10 cm de large à partir de mes plateaux (les pièces étaient relativement courtes).
Les assemblages des traverses avec les pieds sont classiques (tenons de 35mm). NB, il vaut mieux faire les mortaises sur les pieds avant tournage, l’appui est meilleur sur la table de la mortaiseuse.
La poutre centrale a été tirée d’un plateau de 80mm en loupe. L’assemblage est montré sur cette photo : la découpe est faite d’abord à la SAR puis l’arasement est coupé à la scie japonaise. La partie coupée à la SAR est nettoyée au racloir.



Cette partie rentre dans une mortaise creusée dans la traverse basse. Je préfère réaliser ce type de mortaises à la main, le travail est plus propre qu’avec ma mortaiseuse à mèche.
La mortaise est d'abord défoncée à environ 1 millimètre des bords:


Lorsqu'on atteint environ la moitié de l'épaisseur, on redresse les bords

on retourne la pièce et on fait le même travail de l'autre coté.


Les différentes pièces de bois sont ensuite moulurées à la toupie et un assemblage à blanc est réalisé.



Après collage, le piétement est poncé, teinté et vernis (vernis satiné SP sans catalyseur)



La table terminée installée à sa place dans la cuisine.





Si vous avez des questions, n'hésitez pas.
Bonne journée,
Patrick

Salut franchement, moi le piétinement, je n'aime pas, cela n'est que mon avis, mais le plateau est toujours aussi beau

Quel plateau !!!
Les techniques de comblement sont vraiment bien.
As-tu rigidifié le plateau par des raidisseurs ? (je ne sais pas si la loupe a tendance à bouger une fois rentrée en cuisine ?)

C'est vrai que les pieds tournés ne sont plus actuels mais ils se marient vraiment bien à l'esthétique ancienne du plateau !
On est loin, très loin des meubles du géant suédois... une forme de renouveau en somme (°I=)

Merci Patrick pour ce partage.

++
Renaud

Non, je n'ai pas rigidifié le plateau et je n'ai pas non plus pu choisir le sens des bastaings: j'ai pris systématiquement le coté le plus beau. Je ne suis pas sûr en fait qu'il y ait un sens à respecter sur ce type de bois où les fibres vont dans tous les sens....Par contre, j'ai laissé le bois se stabiliser 15 jours entre le rabotage et le collage du plateau.

Bonjour Patrick,

Elle est vraiment sympa ta table. Le bois est superbe et ta technique de rebouchage des imperfections est tout à fait intéressante, le résultat en vaut la peine.

J’aime bien le piètement avec les pieds tournés, que je trouve bien réussis.

Merci pour le partage.

Quelle maîtrise ! Et quelle patience pour tous ces flipots ! Le résultat est superlatif ! Bravo !

bravo Patrick,
la table est superbe !
maintenant il va falloir que tu t'occupe des chaises, elles ne vont plus trop avec,

amicalement,

Vincent

Oui mais avant cela, j'ai un certain nombre de travaux sur ma liste: une grande porte à double battants (3m10 x 1m50), un cache radiateur en noyer assez compliqué, un fauteuil louis XVI réduit au 4/5 pour ma petite fille (pour utiliser avec une copie de bureau Louis XVI que j'avais fait pour sa mère quand elle était enfant) et tout ce qui n'est pas déjà prévu actuellement.....

Une magnifique réalisation et qu'elle maitrise.
Vu la rareté de l'orme je crois que tu viens de faire là une pièce unique... Bravo.